Thursday, September 13, 2012

Superbrothers: Sword & Sworcery EP


Rares sont les jeux qui présentent un authentique défi à la pensée critique. Ils sont bien sûr peu nombreux parmi les jeux de consommation courante, mais aussi parmi les indépendants, où les genres établis, les tendances esthétiques et autres types d'orthodoxie ont également voix de cité. Dans ce contexte un peu stérile, Superbrothers: Sword & Sworcery EP s'avère d'une insaisissabilité particulièrement vitale, s'affairant à déconstruire, subvertir ou au contraire exacerber les nombreuses conventions qui le composent. Originellement conçu pour appareils Apple - plus spécifiquement iPad - puis converti pour ordinateurs cette année, il s'agit d'un des objets les plus riches et passionnants des derniers temps, que tout ludophile sérieusement investi devrait au moins tenter de confronter.


J'ai moi-même résisté à ce qui m'apparaît aujourd'hui comme un accomplissement remarquable. Le ton de son écriture, entre légende de feu de camp et ironie contemporaine, me semblait feint et surtout vain. La minceur de ses énigmes m'irritait, et même le torrent d'enthousiasme entourant la partition de Jim Guthrie m'empêchait d'apprécier pleinement son génie. C'est en y revenant tranquillement, à tête reposée, que la chose a commencé à faire sens. Oeuvre de précision et de beauté, Sword & Sworcery force la note à l'occasion et pèche un peu par répétition, mais toujours en vue de formuler son rythme et constituer son propre langage, de consolider un univers où chaque symbole vaut à la fois pour sa contribution au récit et comme commentaire sur la place de celui-ci dans le monde d'aujourd'hui. Voici un monde où l'héroïne verbalise tout à lapremière personne du pluriel, où les pensées des personnages sont "tweetées" à leur insu, où un psychothérapeute commente les moindres victoires et sectionne l'aventure en "séances" confortables ; bref, où le proverbial "quatrième mur" est vigoureusement déchiré, avec pour effet de mettre en lumière l'essence et la nécessité du mythe.

Par chance, cette couche de distanciation ne parvient pas à occulter le fait qu'au niveau élémentaire, Sword & Sworcery demeure un véritable délice pour les sens. Plus que simplement joli, le monde visualisé par l'artiste Craig Adams se prête à la lenteur et à la contemplation, son minimalisme pixellisé conciliant intimité et grandeur. À la fois ludique, fataliste et naturaliste, le regard sur le monde posé par l'équipe Superbrothers trouve sa cohérence dans le mariage équitable de ses composantes esthétique, narrative et conceptuelle ; que la durée du jeu puisse s'échelonner entre quatre heures et un mois jour pour jour, selon qu'on décide ou non de laisser le temps naturel suivre son cours, s'avère donc non seulement un gag amusant aux dépens du traditionnel facteur de "longévité" dans les jeux vidéo, mais également une touche poétique en parfaite continuité avec le doux psychédélisme de l'ensemble. Il s'agit d'un des rares jeux dont l'intelligence de fond enrichit l'éclat de surface, et cette surprenante harmonie en fait un incontournable.

Verdict: TRÈS RECOMMANDÉ, pour un modèle d'indépendance et d'originalité, au regard éclairé sur la pertinence et l'histoire du jeu d'aventures électronique.

Le jeu est aussi disponible à prix dérisoire sur iPhone et iPod Touch.

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