Saturday, March 9, 2013

Actual Sunlight / Depression Quest

Pour une rare fois dans l'écriture de ce blog, je me retrouve incapable de décider d'une ouverture appropriée à ce que je désire aborder. La raison de ce blocage est que les objets concernés explorent un sujet qui m'est tellement proche, de manières m'inspirant un tel respect, que rien ne me semble suffisamment apte pour les introduire.
 
Actual Sunlight est un récit interactif racontant de façon presque entièrement linéaire la descente d'un homme plus si jeune aux plus profondes abîmes de l'amertume. Plus flexible dans ce qu'il raconte, Depression Quest est une fiction à visées instructives dépeignant les hauts et les bas d'un homme luttant contre la détresse au meilleur de ses capacités. Parus sur le Web la même semaine, tous deux sont des exercices littéraires bien avant d'être "ludiques" d'une quelconque façon, mais la part de malléabilité qu'ils comportent procure à leurs sidérants portraits une intimité dont tout autre médium serait fondamentalement incapable.
 
Avant de parcourir les deux titres en question, je n'étais pas tout à fait certain d'avoir souffert de dépression chronique, et ce malgré plusieurs mois passés en psychothérapie il y a quelques années. Maintenant, je n'en ai non seulement plus le moindre doute, mais j'ai l'impression d'en avoir appris davantage sur ladite condition que n'importe quelle expérience ou lecture passée m'avait permis d'en connaître.
Dans les deux cas, c'est la troublante vérité des observations et des comportements qui emporte l'adhésion. Actual Sunlight y va d'élans de lucidité crue et agressive, les nombreuses digressions imaginaires témoignant d'un regard sur les choses que des années de résignation, de honte et de faillites ont condamnée au désespoir. La frappe cinglante de l'écriture transcende le simple cynisme et atteint le genre de puissance tragique dont Lars Von Trier a depuis longtemps perdu le secret.

Depression Quest y va d'un ton descriptif plus neutre, mais son abondance de fins détails illumine le quotidien dépressif avec une justesse impressionnante. Outre la délicatesse générale de son maniement du matériel, son inclusion d'options "saines d'esprit", représentant un équilibre mental tout bonnement inaccessible au protagoniste, éclaircit de manière particulièrement brillante le gouffre entre le "gros bon sens" rationnel et le raisonnement d'une personne en crise.
Actual Sunlight, quant à lui, frappe un coup de circuit lorsque l'auteur s'introduit à même le texte pour formuler une adresse directe à tout lecteur considérant activement le suicide ; illustrant de son plein gré une situation limite, Will O'Neill assume la responsabilité de son discours et affirme fougueusement les intentions de son oeuvre. Dans ses mots d'une bouleversante franchise: "Don't you fucking dare."
Il ne fait aucun doute que les deux titres ici abordés pourraient se démarquer plus vigoureusement en tant que "jeux vidéo", ainsi qu'en tant qu'ouvrages littéraires. Actual Sunlight abuse peut-être un peu des cartons noirs, au détriment de ses décors pourtant soigneusement construits, et aurait pu inclure quelques situations ludiques supplémentaires pour mieux profiter de son format (la question de la plastique déficiente sera quant à elle résolue, l'auteur ayant dépassé son objectif de financement pour le développement de cet aspect). Depression Quest pourrait gagner à se doter d'un titre plus évocateur, au premier chef, mais aussi à rendre son expérience un peu plus enlevante afin de faciliter sa lecture intégrale.
Mais de telles critiques m'apparaissent complètement insensées lorsqu'appliquées à des entreprises aussi engagées à défricher les zones sombres. Faits de vécu, de compassion, d'honnêteté et de courageuse humanité, Actual Sunlight et Depression Quest sont le genre d'oeuvres interactives totalement libres dont il faut faire connaître l'existence.

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